Occupé jour et nuit depuis le 14 juin par des artistes et techniciens du spectacle, pour empêcher sa privatisation, le plus ancien théâtre de Rome, le glorieux Teatro Valle est devenu un symbole de la résistance culturelle italienne. Le 30 septembre s’y tiendra l’assemblée constituante sur l’état de la culture en Italie.
Du jamais vu à Rome et même dans toute l’Italie! Le plus ancien théâtre public, de la Ville Eternelle, il teatro Valle, inauguré en 1727, est occupé jour et nuit par des dizaines d’artistes et de techniciens, depuis la mi-juin. En l’espace de onze semaines, ce lieu est devenu le symbole de la résistance culturelle italienne. Pour comprendre les raisons de cette occupation à outrance, il faut rappeler qu’au début de l’année, le ministre de l’Economie Giulio Tremonti, à qui l’on doit cette phrase, «On ne mange pas avec la culture», n’a pas hésité à supprimer l’Ente teatrale Italiano, l’ETI qui était le seul organisme public à protéger les théâtres publics en Italie. Conséquence de cette suppression, la gérance du Teatro Valle a été remise à la mairie de Rome qui avait décidé de vendre l’établissement à des investisseurs privés, lesquels voulaient le transformer en restaurant-théâtre.
Le prix Nobel Dario Fo soutient l’occupation
Sur le sillage de la victoire des referendums d’initiative populaire contre la privatisation de l’eau publique et le retour au nucléaire, des gens du spectacle ont entamé un mouvement pour préserver ce théâtre comme un bien culturel et artistique commun. De jour en jour, la file des occupants s’est allongée avec le soutien de grands noms de la culture italienne, tels le prix Nobel Dario Fo, les cinéastes Nadia et Francesca Comencini, Nanni Moretti, Roberto Benigni et Ettore Scola, les chanteurs Jovanotti et Carmen Consolo ou encore les écrivains Erri De Luca et Andrea Camilleri. La liste de la pétition contre sa privatisation s’est elle aussi allongée au fil du temps, recueillant des centaines de milliers d’adhésions. Le théâtre, lui, n’a jamais été aussi actif !
De jour ses portes sont ouvertes à tout le monde, pour suivre des débats, des conférences, des ateliers de danse contemporaine, de dramaturgie, de prose, ou encore des cours de photographie de scène et de technique de la voix. La participation financière est au bon vouloir de chacun. De nuit, ce splendide théâtre où s’est tenue la première représentation de Six personnages en quête d’auteur (1921) de Luigi Pirandello et dont la scène a été foulée par des célébrités mondiales comme Sarah Bernhardt et Maurice Chevalier, attire des centaines de spectateurs de tous âges et issus de couches sociales les plus diverses.
Les « résistants » font salle comble
Des artistes se produisent gratuitement pour soutenir les « résistants» et certains font toujours salle comble (800 places, 4 étages de balcons). Ce fut le cas, en ce mois d’aout, pour la Bandabardò, un groupe de musique éclectique de sept artistes, amoureux des années sixties, qui cite dans ses influences Carmen Consoli, Fabrizio De André, Manu Tchao mais aussi Georges Brassens. Cette belle bande d’artistes toscans, dont l’énergie et la joie de vivre sont profondément contagieuses, a donné 1289 concerts partout en Europe mais aussi au Canada ou encore au Mexique, depuis sa création le 8 mars 1993. « Pour nous c’est un plaisir et un devoir de soutenir ce théâtre occupé car la liberté d’expression est vraiment en danger en Italie », affirme Enrico Greppi, le leader de la Bandabardò. Et de poursuivre, « La lutte si dynamique et constructive des artistes et techniciens s’inscrit dans un projet plus ample qui vise à sortir de l’état de sous-culture dans lequel vit notre pays, depuis près de deux décennies, et à donner, enfin, un vrai statut aux artistes qui n’en ont pas ».
« Un combat contre la précarité chronique du monde du spectacle »
Laura Pizzirani comédienne et actrice de cinéma, lui fait écho. « Je suis venue de Bologne, ma ville natale, pour soutenir les occupants, je pensais rester quatre jours mais je n’ai plus quitté le théâtre depuis la mi-juin, dit-elle en riant, avant de montrer sa « grande » chambre, une des étroites loges du théâtre où, comme d’autres occupants, elle dort dans un sac de couchage, à même le sol. Je me suis rendu compte que cette occupation n’avait rien à voir avec les mouvements sporadiques de rébellion. Ici, observe t- elle,chacun œuvre pour reconstruire une vision de la culture comme un bien commun et un outil de formation citoyenne, mais cela exige aussi un combat contre la précarité chronique du monde du spectacle ». « En Italie, le statut d’intermittent du spectacle n’existe pas, précise Laura, nous n’avons donc aucune aide de l’Etat en période de chômage ».
« Nous avons déjà remporté une première manche »
Admirablement géré et entretenu par les occupants, qui vivent des dons du publique, le Teatro Valle, fréquenté en moyenne par 400 personnes par jour, s’est transformé en agora de créativité et de réflexion, très discrètement surveillée par les forces de l’ordre. Le quartier, proche du Panthéon, en a tiré de nombreux bénéfices. Il revit comme un vrai quartier populaire, les commerçants sont ravis et les habitants, surtout les retraités, se déclarent heureux de redécouvrir le sens du mot socialisation.
« Nous avons déjà remporté une première manche, le maire de Rome Gianni Allemanno a annoncé qu’il renonçait à sa privatisation, se réjouit Lorena Cosimi, danseuse, chorégraphe et danse-thérapeute, mais nous devons maintenant remporter la seconde, c’est-à-dire obtenir que ce lieu devienne une fondation -qui serait aussi un centre national de dramaturgie- financée par des fonds publiques et privés. Pour cela, nous mettons en place un projet de statut, avec l’aide de deux grands juristes, Stefano Rodotà et Ugo Mattei. Ce statut devrait ensuite servir de modèle à tous les théâtres pour garantir une gestion transparente et le détachement entre pouvoir politique et direction artistique. »
L’état de la culture en Italie
En attendant l’assemblée constituante sur l’état de la culture en Italie qui se tiendra dans ce théâtre le 30 septembre, et au cours de laquelle le statut devrait être présenté, une délégation des occupants a été invitée par le directeur de la Mostra de Venise, Marco Muller, le 4 septembre, dans le cadre de la semaine des auteurs. Elle présentera, à cette occasion, un documentaire sur la situation du cinéma en Italie pour bien monter que la bataille du Valle dépasse les frontières du théâtre.
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